AUTODIDACTE
Dessins, peintures sont pour moi des écritures. Brèves histoires, spontanées sur le papier ; voyage au long court sur la toile où les figures se succèdent jusqu'à faire l'unité, calée sur l'aspiration d'une manifestation plus intérieure.
Je travaille principalement à l'acrylique, encre, mine de plomb et gesso.
Th. Fabre
Ci-dessous l'article de Jeanine RIVAIS à l'occasion de la Biennale des arts singuliers et innovants de 2022.
L'ART DE STRUCTURER SES CREATIONS ECTOPLASMIQUES !
Pourquoi, lorsqu'il titre "Cheval",
"L'ange et l'agneau", "Portrait homme", "Vague souvenir de l'humanité"…, Thierry Fabre ne dessine-t-il pas tout simplement comme le feraient tous les artistes, un cheval, un ange les yeux dans
les yeux avec un agneau, un homme ou un paysage ? Fait-il ainsi la nique à son visiteur qui tombe en arrêt devant son travail, saisi d'une telle technique, et d'un tel art de structurer des
figures ectoplasmiques ? Ou bien, s'agit-il pour lui de styliser ses "êtres", mettre en images un monde d'allochtones, tout en supprimant résolument tout ce qu'une représentation classique
sous-entendrait de psychologique ? En somme, dire l'essentiel pour recréer une nouvelle réalité ! En même temps, susciter la surprise, générer le doute, obliger ce visiteur à penser : " Ai-je
bien vu " que, dans telle présence qui m'avait semblé informe, quand il signe "cheval", il a effectivement peint un cheval, la tête légèrement tournée vers moi, qui plus est" ? De sorte
qu'ayant observé et admiré chaque œuvre sur les cimaises, il se demande : "Que dit donc, une fois saisie sa genèse, ce petit monde formel, un peu géographique à force de linéarisation ?" Qu'il
s'agit, paradoxalement, d'un univers paisible. Que ces "corps" qui s'imposent" au centre de chaque toile sont en fait posés sagement en de très naturelles complémentarités, en des relations
calmes et harmonieuses. Que seul, le talent de l'artiste à composer ses milliers d'entrelacs et ses postures de symboles, donne l'impression qu'ils sont abstraits. Et qu'une nécessité intérieure
le pousse à peindre et dessiner ces formes étranges qui plongent chacun dans un monde imaginaire.
Sans doute une intense jubilation à jouer
les démiurges, le conduit-il, sur la toile où éclatent alors à travers son travail complexe, son grand talent, sa verve chromatique, son lyrisme pictural et l’éblouissante technique qu’il a
développée, à créer sa peinture la fois si tactile et si visuelle !
Ce qui frappe de prime abord dans
cette création, c’est une grande explosion de couleurs paradoxalement douces, les complémentarités et les oppositions des nuances de violines qui sont à la base de chaque œuvre et qui
s’enchevêtrent, pour faire vibrer les blancs/gris ; quelques bleus pâles qui s’interposent ; le tout s’organisant sans lignes de démarcation, et l'on peut imaginer l'artiste, le nez collé sur sa
toile ou son papier, passant et repassant à petits gestes répétitifs de la main, linéarisant si parfaitement les courbes ténues qui forment la croupe du cheval ; ajoutant tiret après tiret
jusqu'à parvenir à la tête surallongée du "Vague souvenir de l'humanité" ou ceux légèrement ondulés de la "Grande figure", etc. Agglutinés les uns aux autres, ces éléments deviennent des couches
aléatoires qui vont engendrer les reliefs, les brillances et les vibrations évoquées, les accidents, les repères... Peu à peu, cette progression génère un panachage composé de bien complexes
alchimies. Finalement, cette main a foui ces non-formes pour y composer à longs traits des silhouettes allusives.
A un moment, s’arrête l’imaginaire, et
commence la circumnavigation raisonnée. Car ce qui frappe, dans le travail de l’artiste, c’est la rigueur architecturale de l’exécution, la précision entomologique des enchevêtrements de cercles,
courbes et contrecourbes, idéalement réglés comme des chorégraphies. Les couleurs douces déjà évoquées se fondant les unes dans les autres, unifient encore ces géographies fantaisistes.
S’harmonisent sur le support.
Dans ces mélanges, amalgames, entrelacs,
jaillissements créatifs particulièrement aboutis et homogènes, ce travail répétitif mais très codifié, alliant déclinaison de formes et de signes colorés, Thierry Fabre enfouit-il ou au contraire
développe-t-il ses fantasmes les plus intimes ? De ses créations multiples et toujours la même reconnaissable entre mille, à ses présences jetées comme des escales, choisit-il son "dit" au gré
d'évolutions, de rythmes qui lui conviennent, d'enchaînements profus qui le font rêver ?
Subséquemment, conscient de cette marche
du créateur vers lui-même, comment le spectateur ne percevrait-il pas, sous la lourde dentelle des entrelacements picturaux, sous la douceur et l'harmonie des couleurs qui les conjuguent, le
questionnement personnel incessant de cet artiste ?
Et aussi, pourquoi le rapport à l'allusif
fascine-t-il tellement Thierry Fabre ? Peut-être parce qu'il renferme, dans l'espace restreint de la toile, réminiscences et images qui le définissent ? Parce qu'il oblige le peintre à se
confronter à tout ce qui est intime et dormant en lui ? Qui sait ?
Jeanine RIVAIS